Littérature

1. Extrait de "Le Chemin des cablacères" d'Alain Paraillous, qui décrit ici une forêt et un jardin lot-et-garonnais, à Saint Pierre de Buzet. Ce pourrait être au Sinange (avec un cèdre en plus ! :-)) :

Extrait du chapitre "Un balcon en forêt" :
"Les bouquets de pins à l'immuable camaïeu sombre laissent transparaître le vert-de-gris des chênes-lièges, insensibles, eux aussi, aux changements de saison. Çà et là, le dôme de quelques grands chênes surplombe la forêt cathédrale aux "vivants piliers".
J'éprouve une tendresse particulière à l'égard des châtaigniers et des acacias, moins majestueux, mais qui semblent avoir trouvé ici leu terre d'élection. Etranges arbres : plantez-les, parvenez par miracle à les sauver, et leur tronc n'atteindra le diamètre d'une bouteille qu'au bout de plusieurs décennies. Essayez plutôt de couper l'un ou l'autre de ces deux arbres : ce sont alors des centaines de repousses qui jailliront du sol, et deviendront adultes en quelques années.
A la floraison les châtaigniers prennent un air de fête : ils se parent à l'infini de guirlandes de chatons qui leur donnent un avant-goût de 14 juillet. Quant à l'acacia, c'est d'un habit d'apparat qu'il se revêt : aux premiers jours de mai, certains coins de la forêt paraissent couverts de nacre. Cette année, poussée par un printemps précoce, leur parure a été éblouissante : chaque jour, l'océan de pins et de chênes semblait s'écarter davantage pour laisser place à de nouvelles voiles blanches. Pendant une semaine, le soir surtout, l'air ne fut que parfum sucré, presque un sirop tant cette exhalaison était à la limite du palpable. Je ne l'avais jamais senti si fort, ni si longtemps, ni avec autant de volupté.
Les autres arbres ne se trouvent pas en aussi massive quantité : quelques charmes, ces hêtres rabougris dont les troncs se plaisent à prendre les formes et les poses les plus étranges ; des cerisiers sauvages, isolés, au bois blond recherché par les ébénistes qui le préfèrent au rouge vif du cerisier domestique. Les ormeaux qui poussaient le long des bordures et des haies ont disparu, ici comme ailleurs, victimes de la terrible graphiose.
Je me suis souvent demandé à quelle époque les tilleuls avaient quitté la forêt pour s'installer à proximité des maisons. A deux pas de leur porte, les hommes ont aussi planté des chênes, des acacias, dont les frères n'en ont pas moins continué d'habiter la forêt. Alors, d'où vient-il, ce tilleul-médecin ?
Son parfum prend le relais de celui des acacias. A peine les grappes de l'arbre à miel se sont-elles fanées qu'apparaît la fleur étrange du tilleul : une aile de libellule d'où émerge un minuscule soleil, si frêle qu'on a peine à imaginer qu'il puisse exhaler un arôme de cette puissance. L'année qui suivit la mort de mon père, les deux grands tilleuls qui montaient la garde devant notre maison s'emplirent d'une floraison si intense que leurs branches ployaient. Jamais les nuits de la mi-juin n'avaient été à ce point embaumées par la multitude de petites fleurs délicates qui avaient jailli de leur sève. Et dans mon deuil m'obsédaient le souvenir du deuil d'Electre, et la parabole des tilleuls : "Ils attendaient mon père d'une attente qu'ils essayaient vainement de comprimer en eux, vexés de vivre par années et non, comme il aurait fallu, par décades, honteux de l'avoir trahi à chaque printemps quand ils ne pouvaient plus contenir leurs fleurs et leurs parfums, et qu'ils défaillaient avec moi sur son absence."
De quelle contrée vient-il, l'arbre qui inspira à Giraudoux ces lignes bouleversantes ? Fut-il rapporté de quelque expédition lointaine ? Sont-ce les croisés qui l'ont ramené dans leurs bagages ? Arrive-t-il du Liban, comme le cèdre, d'Afrique comme le palmier, d'Asie comme le magnolia ?
Les hommes ont toujours aimé rapporter des souvenirs de leurs voyages : l'empereur Hadrien en avait fait la raison d'être de sa ville de Tivoli, près de Rome. Au siècle dernier, alors que n'avaient pas encore été inventées les "jardineries", nos arrière-grands-parents réussissaient quand même à se procurer des plants venus d'ailleurs. Je suis reconnaissant aux miens de n'avoir pas oublié le magnolia qui trône dans ma cour, et qui donne, à la saison, ses pétales de parchemin. Ni le palmier, si mal considéré aujourd'hui parce qu'en vieillissant, il n'a plus pour panache qu'un minuscule pinceau de verdure perché au sommet d'un tronc ingrat au pelage de singe ; n'importe, j'aime bien sa tête de rose des sables, avec ses feuilles en faisceau, affûtées comme des lames, et pour le bruit qu'elles font, un claquement d'ailes apeurées quand un vent soudain, venu de l'océan, les cingle d'un coup de fouet.
Mais, ai-j envie de m'écrier en parodiant M. Jourdain, ô mes aïeux, que je vous veux du mal d'avoir oublié le cèdre qui ennoblit les maisons et eût donné à ma rustique demeure l'élégance d'un château ! Je dois me contenter du magnolia, et du palmier qui est un peu le cèdre du pauvre. Et de la forêt qui est là, tout autour de moi, si proche, mon parc à l'infini."


2. Extrait de "L'Elegance du Hérisson", de Muriel Barbery :
"Après, en réfléchissant un peu, j'ai partiellement compris cette joie soudaine quand Kakuro parlait des bouleaux russes. Ça me fait le même effet quand on parle des arbres, de n'importe quel arbre : le tilleul dans la cour de la ferme, le chêne derrière la vieille grange, les grands ormes maintenant disparus, les pins courbés par le vent le long des côtes venteuses, etc. Il y a tant d'humanité dans cette capacité à aimer les arbres, tant de nostalgie de nos premiers émerveillements, tant de force à se sentir si insignifiant au sein de la nature... oui, c'est ça : l'évocation des arbres, de leur majesté indifférente et de l'amour que nous leur portons nous apprend à la fois combien nous sommes dérisoires, vilains parasites grouillant à la surface de la terre, et nous rend en même temps dignes de vivre, parce que nous sommes capables de reconnaître une beauté qui ne nous doit rien." 

3. Extraits de "Des Eaux de Cristal", de G. Janniard, roman dont l'histoire se situe à Clairac, avec des descriptions précises du Sinange et de son parc (milieu XIXème siècle) :


« Hélàs ! quelle différence, pense Mme Louisa Brunet, avec son joli château de Dossinange, si poétiquement situé à l’entrée du vallon. Le château confortable et coquet… Nombreux sont ceux qui prennent le chemin du petit château, attirés par l’accueil cordial, la conversation spirituelle et cette chose du monde la plus rare, le sens commun, qui prend chez Mme Brunet sa figure la plus aimable. 


« Pour gagner Dossinange, la voiture monta le grand chemin bordé d’ormes touffus. Loin des regards curieux, Mme Delahaye se renversa sur les coussins, s’abandonnant à la mélancolie qui grandissait en elle…


Pour accueillir la jeune femme, dans le salon aux meubles démodés, Mme Brunet se leva vivement de sa profonde bergère.
-C’est aimable à vous, ma mignonne, de ne pas m’oublier, même en lune de miel.
Son regard vif passait par-dessus ses lunettes.
-Asseyez-vous vite, Georgina !
Comme il était cinq heures, Mme Brunet commanda un plantureux goûter.
Elle disposait elle-même sur la table légère, la rouge gelée de groseilles près des grains d’ambre du chasselas conservé.
  
-Mangez, Georgina. Moi, j’ai des habitudes de vieille femme. Je dîne tous les jours de confitures et de café au lait, et je me couche à huit heures. C’est le secret de la santé. 
La faible lueur des lampes luttait dans la pièce avec l’ombre des coins obscurs. La grande paix des champs plongeait le château tout entier dans une bienfaisante léthargie. »


Le jardin du château est vaste comme un petit parc. 


Au bas d’une colline y coule la fontaine de Mme Cottin. On raconte que pendant un séjour qu’elle fit en Gascogne, la romancière, dont la vogue devait être énorme et la mort tragique venait chercher l’inspiration à l’ombre de ces grands arbres, près de cette eau courante..




« Lorsque vous veniez à Dossinange, toute petite, vous me disiez : « j’aime beaucoup la crème de vos sorbes, Madame. » Mon vieux sorbier a encore donné des fruits, cet hiver. Je vous en enverrai… »

"Mme Brunet congédia tout de suite les jeunes filles d’un geste pressé de ses petites mains : - Au jardin, la jeunesse ! Les fraises mûrissent et je compte sur vous pour dépouiller mes plates-bandes."


"Par ce beau moins de mai, les roses s’épanouissaient dans le jardin de Dossinange,…



… Elle s’enfuyait, l’air égaré.
La robe blanche se cacha, introuvable dans l’épaisseur des bosquets.
Mlle de Castille s’assit à l’entrée d’une longue charmille, sur la pierre verdie d’un banc, qui s’adossait au rideau des arbustes.
Un pas léger sur le sable de l’allée..
Dans les allées du jardin, Mlle de Castille appelait parfois Eglantine… Elle était sans doute déjà rentrée à Dossinange. …
Ce fut en vain que l’on sonna la cloche. Ce fut en vain que métayers et valets parcoururent le vaste domaine. …
C’était au pied de la colline, dans la claire fontaine – la fontaine de Mme Cottin : refuge indiqué pour la fille du lyrique Mr Caubet et de la romanesque Valérie – qu’ils avaient trouvé la pauvre Eglantine.
… C’est à grand peine que ses parents lui arrachèrent le récit de la terrible chute car la pauvre enfant frissonnait et défaillait encore à ce souvenir.
En courant le long de la colline, la nuit venue, elle n’avait pas vu, expliquait-elle, qu’elle se trouvait le long du ruisseau. A un moment, elle buta et tomba dans l’eau, à demi évanouie de surprise et de peur."



« Sur le chemin du retour, Mme Delahaye regarde, d’une vision changée, tout ce que recouvre, autour d’elle, le froid vêtement de la nuit.
Dans les champs où le blé a déjà pointé, des amandiers se dressent comme de pâles fantômes dans l’ombre. Georgina sait qu’ils sont en fleurs et que les pruniers en innombrables rangées, gardent fidèlement aussi le trésor des boutons naissants. Parfois, le coup de lumière des lanternes, lui montre dans les haies, les touffes neigeuses de l’épine franche. Elle est loin la saison des fruits ! Mais pour qu’elle tienne ses promesses, maintenant, sous la bise encore aigre, sans la protection du feuillage, des corolles d’aspect fragile et délicat percent l’écorce rude et se dressent, à l’heure où elles doivent se montrer, à la place qu’elles doivent occuper.
Le message de confiance, et de courage que lui envoient, ainsi, les fleurs de février, ne touchera-t-il pas la jeune femme ?" 





4. "Lire sous un arbre en double le plaisir. On ne sait plus si on tourne les pages ou si on feuillette l'arbre" Jean Chalon


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